> Salut Thierry, tu es bassiste professionnel et professeur de musique indépendant fondateur du Bus Magique. Pour commencer, peux tu nous parler de ton actualité ?
Depuis un moment, je fais partie d'un groupe qui comprend une vingtaine de musiciens genevois, dont plusieurs que tout le monde connais comme Stéphane Montinaro et Ivan De Luca, entre autres, et nous jouons chaque année au mois de mars à la Villa Tacchini. Cette année, nous venons de jouer pour deux soirées 70’s. Donc niveau répertoire, on arrose large et c’est toujours très sympa.
J'ai aussi un groupe de rock, Sideburn, avec qui on fait passer actuellement des auditions pour un guitariste rythmique, parce que notre guitariste attitré a déménagé et qu'il habite maintenant au sud de Lyon. Et comme on répète à Lausanne, c'est six heures de voyage aller-retour, donc ça faisait trop pour lui. Parallèlement, on est en train d'enregistrer des nouveaux morceaux et de ré-enregistrer des anciens, et de sélectionner des prises en live pour une compilation qui va sortir au printemps prochain.
Et puis avec Le Bus Magique, on est en studio avec les 14 groupes des différents ateliers pour faire l'album annuel de l'école.
> Quel a été ton parcours pour en arriver jusque là ?
J'ai eu la chance de naître dans une famille de musiciens. Mes deux parents, mon frère, ma sœur et moi avons donc toujours vécu dans un monde baigné de musique, et avons très tôt appris à jouer d'un instrument. Mes parents ont travaillé en Inde et en Afrique du Sud, donc on a grandi au milieu de sonorités africaines, orientales et européennes. Ils écoutaient aussi bien Georges Brassens ou Jean Ferra que les Beatles, et comme ils étaient plutôt musiciens classiques, beaucoup de musique classique. Personnellement, j'ai donc fait de la guitare acoustique pendant deux ou trois ans, et après, j'ai fait dix ans de violoncelle. Et puis c'est quand j'ai découvert la basse électrique à 17 ans que tout a vraiment commencé.
> Tu veux dire en termes de passion ?
En termes de passion, mais aussi en termes d'apprentissage et d'investissement personnel. J'ai fait beaucoup de découvertes en autodidacte, avec les pertes de temps qu'on sait tous que ça génère. Je bossais principalement en écoutant les disques des groupes que j'aimais bien et en jouant par dessus. Et puis après, j'ai fait les trois ans de formation professionnelle à l'ETM, dans les débuts de l'école pendant la première moitié des années 80. Là-bas, j'ai appris pas mal de trucs : une approche plus moderne que celle qui est développée dans l'enseignement de la musique classique que j'avais reçu pour le violoncelle, les harmonies, le développement de l'écoute, l'entraînement de l'oreille et de la mémoire... Depuis, je n'ai jamais arrêté de jouer.
> Tu chantes aussi, non ?
Ouais, mais ça c'est venu plus tard. J'ai même d'ailleurs chanté dans un groupe où j'étais juste chanteur, mais j'étais pas très à l'aise parce que déjà – sans vouloir manquer de respect à tous mes potes chanteurs et chanteuses – il faut avoir un certain ego pour avoir envie d'être sur le devant de la scène, et capturer les regards du public. Et ça, c'était pas vraiment mon truc. Mais par contre, j'aime bien chanter avec la basse.
> Ce qui n'est pas toujours facile à marier du point de vue rythmique...
En fait, si tu lies ce que tu joues avec ce que tu chantes, ça devient facile. Il faut tout apprendre, évidemment, mais il y a un truc à choper et après, c'est complètement gérable.
> Pourquoi t'es tu mis à la guitare basse ? Et est-ce que tu te souviens de premier modèle ?
Je me suis mis à la basse complètement par hasard. A l'époque, il y avait un magasin de musique qui s'appelait Peterhans au bout du Pont de la Coulouvrenière. En me promenant un jour dans le coin, j'ai vu une Hofner – pas le modèle violon de McCartney, celle-là avait une forme de Les Paul. J'ai halluciné sur cette guitare, que je trouvais si belle, et j'avais l'argent – 270 francs. D'habitude, j'avais pas d'argent, mais là, ça tombait juste après mon anniversaire ou Noël. J'avais donc 270 francs en poche et il y avait cette guitare que je trouvais magnifique dans la vitrine. Alors je l'ai achetée. Et puis après, un pote m'a dit "Mais t'as acheté une basse ?" Je ne savais même pas ce que j'avais acheté, en fait (rires). J'avais pas fait gaffe qu'elle n'avait que quatre cordes... Bref : je n'y connaissais rien. Mais j'ai pris ça comme un signe du destin qui me disait que je devais être bassiste.
> Est ce que tu joues d'autres instruments ?
Je peux tenir une rythmique à la guitare sans souci. Je suis un peu limité – même pas mal limité en réalité – si je dois faire un solo, parce que je sors des plans de bassiste dans ces cas-là. Je peux faire illusion, mais ça n'ira pas très loin. Autrement, je peux très correctement jouer des rythmes de batterie standards. Par exemple, s'il n'y a pas de batteur pour un atelier au Bus Magique, je peux assurer sans problème. Je ne ferai pas beaucoup de breaks, mais je taperai droit et je tiendrai le tempo. Et puis je peux aussi chanter, quand il faut.
> Quels sont tes styles de musique préférés, et comment ont-ils évolué avec le temps ?
Mon style de base, c'est le rock 70’s. The Who, Led Zeppelin, les Beatles, que je suis toujours intéressé d'écouter alors que je les ai déjà entendus 1000 fois... Ça me touche toujours autant. Ça, c'est vraiment ce que je préfère.
Après, il y a aussi la pop et le rock anglais en général. Je suis beaucoup plus européen qu'américain pour ce qui est de mes goûts musicaux. Ce qui m'étonne, c'est que j'aime ça depuis que je suis ado, et les groupes qui m'inspirent aujourd'hui sont toujours les mêmes que dans le temps... Mes goûts ont bien sûr évolué, aussi. Avant, je n'aimais pas du tout le funk. Michael Walden ou Chic, ça ne m'intéressait pas du tout, alors que maintenant, j'ai vraiment du plaisir à écouter tout ça et je vais volontiers à un concert de funk. Et puis il y a des choses que je n'aimais pas à l'époque et que je n'aime toujours pas, même si je les réécoute tous les 3-4 ans pour voir, comme les Doors ou Miles Davis. J'essaye de comprendre, de m'intéresser, mais j'adhère pas...
> Quelles sont tes influences majeures ?
J'ai beaucoup écouté John Entwistle, le bassiste des Who, Paul McCartney, et Gary Thain, le bassiste d'Uriah Heep. Ces trois là avaient des lignes de basse hyper intéressantes. Ils jouaient de façon très mélodique, parce qu'ils étaient bons, mais aussi parce que les groupe dans lesquels ils jouaient le permettaient. J'ai d'ailleurs pendant longtemps fait l'erreur de trop vouloir jouer comme ces gens là, et je me suis rendu compte que ça n'allait pas forcément dans les groupes dans lesquels j'étais, parce qu'on faisait de la musique bien plus rock, et qu'il valait mieux que je colle à la grosse caisse sans trop tricoter. J'ai mis du temps à revenir en arrière et finir par jouer de façon un peu plus "standard".
Un autre bassiste qui m'a beaucoup influencé, c'est Gerry McAvoy, le bassiste de Rory Gallagher.
Lui, c'était un peu l'opposé des trois que j'ai cités avant. Son style reposait vraiment sur le fait de coller une grosse tonique sur la grosse caisse, avec quelques petites fioritures à droite, à gauche, mais pas tant que ça. Ça, c'est mes influences principales.
> Quelles sont tes basses préférées ?
J'ai une vieille Fender Precision de 73 que j'utilise beaucoup. Elle passe partout, elle est légère, et elle est très agréable à jouer. C'est un instrument sans mauvaise surprise, et c'est ma basse de référence. J'ai toujours favorisé les touches Fender Precision en érable parce que ça claque plus. C'est un poil plus difficile à jouer que les touches en palissandre, mais il y a beaucoup plus de brillance de *zing*, et j'aime bien ça.
Mais avec Sideburn, où je ne joue qu'au plectre, car c'est vraiment le groupe de rock par excellence, j'utilise une autre basse que j'ai bricolée en posant un manche de Precision de 73 qui a une touche en érable sur un corps Ashdown. J'ai aussi une Alembic 5 cordes que j'utilise quand je bosse sur un projet qui l'exige, et une fretless 5 cordes qui a été faite par Denis Favrichon dans les années 80, mais que je n'utilise presque jamais.
> Les amplis et les effets jouent aussi un rôle très important. Quel est ton set-up préféré à ce niveau ?
Mon set-up a beaucoup changé parce que j'ai toujours aimé avoir une bonne couche de basses avec une petite couche de brillance par dessus. Pendant des années j'ai joué avec deux Hiwatt Custom 100, en réglant l'un avec les basses à fond, et l'autre les aigus à fond. Mais comme tu te l'imagines, c'était intransportable... Après, j'ai joué avec un ampli de basse couplé à un ampli de guitare que je faisais saturer, comme ça j'avais un gros son de basse et un grain saturé en surface, ce que j'aimais bien. Pour les amplis basse, je prenais en général des Hartke, mais j'ai aussi eu un Marshall pendant quelques temps.
Niveau cabinet, J'ai fait des essais avec des HP de 15" pour accentuer les basses et des 4x12" Marshall pour les aigus. Et puis quand Guitar Rig est sorti, j'ai testé ça aussi. Je trouvais l'idée intéressante, mais j'ai rapidement perdu confiance en l'ordinateur pour les concerts : lors d'un de mes premiers live avec, le système m'a lâché, donc ça m'a stressé et j'ai laissé tomber.
Quand je suis revenu à un jeu plus standard, j'ai utilisé des têtes Ampeg et puis actuellement, je joue sur un Kemper. C'est relativement simple, et j'utilise un profil de Fender Bassman des années 70. Ce qui est pratique avec le Kemper, c'est que même si je joue dans un petit club où on ne peut pas trop monter le volume, j'ai quand même le grain des lampes chaudes. C'est un des grands avantages du Kemper : une fois que c'est réglé, tu peux pousser le master et avoir un peu plus de grain, et la dynamique reste celle de l'ampli original. Et puis un autre truc qui n'est pas négligeable quand on prend de l'âge comme moi, c'est que ça ne pèse rien par rapport à une tête. Mais je sais que ça va évoluer, je sais pas encore comment, mais je suis venu ici essayer le Neural DSP avec Sergio, et ça pourrait être la prochaine étape. Mais pour l'instant, mon set-up c'est le Kemper avec une à quatre colonnes 4x10" Ashdown. Le nombre dépend évidemment de la taille de la scène : j'en prends une si c'est dans un petit club, deux si c'est pour un club moyen, et quatre quand je joue sur une grande scène.
> Pas de pédales ?
En règle générale, je suis pas fan d'effets, même pour les guitares. Les guitaristes que j'aime n'avaient pas beaucoup d'effets, et je n'en utilise moi-même que très rarement et avec parcimonie. J'aime bien le grain d'une disto, donc j'en utilise assez souvent, mais c'est principalement la saturation de l'ampli. J'ai essayé avec des RAT à une époque, et plein d'autres trucs, mais finalement je préfère sans. Par contre, j'ai dernièrement testé une pédale Billy Sheehan et j'ai trouvé ça pas mal, parce qu'on peut mixer le signal clean avec le signal saturé. Quand je vais à une soirée comme ces événements 70’s où on va tous jouer sur le même ampli et où je veux avoir un bon son pour jouer des titres de The Who, j'emporte cette pédale Billy Sheehan, comme ça j'aurai le grain de "Won't Get Fooled Again". Mais sinon, non, les pédales c'est pas mon truc, et je n'aime pas faire de solos de basse avec un octaveur, par exemple. Tout le monde le fait, mais moi ça ne me plaît pas.
> Qu'est ce qui est le plus important pour toi dans une guitare basse ?
Il y a deux choses : la première, c'est que dans l'ordre ou dans le désordre, il faut que je me sente complètement à l'aise en jouant dessus. Au niveau du manche, du toucher, de la position des mains... Pour la main droite, je veux qu'une basse soit confortable que je la joue aux doigts ou au plectre. La deuxième chose, qui est un peu moins importante – quoique – c'est qu'elle soit belle, et qu'elle me donne envie de la voir, de la regarder, sinon ça va pas le faire.
> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?
En tant que vieux musicien de Genève, je connais Servette-Music depuis toujours. Je me rends compte avec plaisir que le magasin s'est modernisé depuis une dizaine d'années. Avant, c'était vraiment un magasin pour les instruments à vent... Il n'y avait pas beaucoup de choix au niveau des guitares, des basses, et il n'y avait pas du tout de batteries. Là, il y a clairement une évolution au niveau des basses, des guitares, la création d'une section batterie, et il y a beaucoup de choix. La gamme est devenue géniale, on a plein d'options. Et puis franchement, la qualité du conseil, des travaux de l'atelier de lutherie sont au top. Du coup pour moi, Servette-Music, c'est un lieu incontournable de la scène musicale à Genève, et à titre personnel, un magasin super important en tant que musicien.
> On a entendu des profs nous dire que même leurs élèves commençaient à en parler...
Oui, moi aussi j'ai remarqué ça. Justement, avant à Genève, c'était The Works, Music Store ou Lead Music. Et maintenant, les élèves du Bus Magique me parlent de Servette-Music. Pour eux, ça fait clairement partie du paysage musical rock au même titre que les autres, ce qui n'était pas forcément le cas avant.
> Justement, est ce que tu peux présenter Le Bus Magique à nos lecteurs en quelques mots ?
Le Bus Magique est une école d'ateliers de musiques actuelles, structurée comme une association, que j'ai créée en 2005. Son nom lui vient d'une chanson de The Who qui s'appelle "Magic Bus", comme je suis super fan de ce groupe, et que le nom est sympa pour une école. J'ai la chance de connaître Zep (NdR. créateur du personnage de bande-dessinée Titeuf) depuis longtemps, et c'est lui qui m'a fait le logo !
Niveau activités, on a 14 ateliers cette année, qui vont de deux à six musiciens. Depuis l'an dernier, je travaille avec Ivan De Luca, qui anime quatre ateliers cette année. C'était important pour moi de trouver quelqu'un qui avait la même philosophie que moi et la même approche au niveau humain. Parce que des bons musiciens, il y en a un paquet dans cette ville, mais on n'a pas tous la même façon de jouer ensemble, de gérer le côté humain, et ça c'est presque plus important que le niveau musical. Mais avec Ivan il n'y a pas de compromis à faire de toute façon, humainement et musicalement, c’est parfait.
> Comment fais-tu vivre cette approche des rapports entre musiciens au sein du Bus Magique ?
L'une des choses les plus importantes, c'est la confiance : il ne faut pas jouer en pensant que c'est un concours, qu'on va être jugé, ou que les autres vont nous dire ceci ou cela. En musique, le plaisir doit être au centre : il faut se faire plaisir à soi-même, et faire plaisir aux gens qui écoutent, tout en travaillant et en apprenant. Ce n'est pas une compétition, et chacun avance à son rythme. Si quelqu'un est un peu plus avancé, on lui fera faire un truc plus compliqué. Si quelqu'un a un peu plus de peine, on adaptera ses parties à son niveau pour qu'il puisse apprendre, mais sans être dégoûté. Et quand quelqu'un a vraiment il a de la peine, je le prends une heure et je le fais bosser en tête à tête pour qu'il arrive au niveau des autres. Rien n'est figé ici... Chaque groupe a ses particularités, ses forces et faiblesses, et la star, c'est le morceau qu'on joue, qui doit ressortir le mieux possible.
Je dis souvent qu'un groupe de musique, c'est une petite démocratie – peut-être la plus petite démocratie du monde, à part le couple – et on ne peut pas faire ce qu'on veut tout le temps. On doit être à l'écoute des autres, et on peut pas se mettre en avant tout le temps – sauf quand on joue un solo. C'est comme ça qu'on arrive à créer un beau projet, et à jouer un beau morceau.
L'autre force du Bus Magique, c'est que comme on n'est que deux profs pour une soixantaine d'élèves, on connaît tout le monde personnellement. Souvent, les musiciens se connaissent entre eux, en plus. Tout le monde connaît tout le monde en fait, et on fait des soirées. Il y a tout un côté social en plus du côté artistique. Les musiciens ont des groupes WhatsApp, ils se voient entre eux, ils font des trucs ensemble... Il y a toute une vie que nous, Ivan et moi, on ne connaît pas. Et puis on a un bon contact avec les parents, ça reste une école à taille humaine, et je pense que c'est une des grandes forces de cette école.
> Le paysage de l'enseignement musical a subi de grands changements depuis une dizaine d'années. Comment as-tu adapté tes méthodes ?
Je ne pense pas vraiment avoir changé quelque chose d'essentiel dans mes enseignements, parce qu'on travaille d'humain à humain et que ça, ça a toujours existé. Internet a facilité beaucoup de choses parce qu'on trouve des partitions, les textes des chansons qu'on avait de la peine à trouver avant, mais, il y a quand même pas mal de fautes dans les transcriptions disponibles de cette manière. Il m'arrive donc de préparer un morceau pour un atelier en regardant une partition, mais je la contrôle aussi parce qu'il y a des fautes, et parfois des grosses, ou alors c'est grossièrement simplifié. Quand on veut faire le travail comme il faut, on est quand même obligé de passer du temps avant chaque morceau pour analyser la structure, les accords, le voicing, faire un arrangement qui soit intéressant et pas trop basique.
Par contre, il y a aussi plein de trucs supers, comme des gens qui déconstruisent les morceaux pour bien faire entendre ce qu'il s'y passe, comment il est pensé, et comment le jouer. Tu peux n'entendre que la basse, la guitare, ou le chant, et ça donne beaucoup d'infos, surtout quand c'est des morceaux de groupes avec deux guitares. Tu peux vraiment écouter le travail de chaque guitare indépendamment et ça, c'est super intéressant. Parfois j'envoye le lien aux élèves pour leur dire quelle partie apprendre exactement et ça les aide beaucoup. Mais en tant que profs, puisqu'on est quand même une école, on travaille "à l'ancienne" : oreille, crayon, papier, en tapant des doigts sur les genoux pour le rythme et en comptant dans notre tête.
> Pour l'avenir, quels sont les grands projets qui te motivent avec Le Bus Magique ?
Depuis toujours, dans ma vie perso comme avec Le Bus Magique, je me dis que rien n'est gagné, et que rien n'est jamais acquis. J'utilise volontiers l'image d'un petit grill qui chauffe sous mes pieds pour m'obliger à bouger. Les idées, je ne les ai peut être pas forcément là maintenant, tout de suite, mais je sais que vis-à-vis de ma gestion du Bus Magique comme dans mon approche avec les musiciens, les instruments ou les nouvelles technologies, je n'ai aucune envie de rester figé dans quelque chose.
Je ne sais pas concrètement ce qu'est le futur du Bus Magique, mais ce qui est sûr, c'est que ça va évoluer. Rien que ces deux dernières années, au lieu d'éditer un CD pour l'album de l'année comme on l'a fait pendant 15 ans parce que c'était le media standard, on a édité des vinyles, parce que ça revenait à la mode et que les ados ont des platines pour les jouer. Et puis cette année, comme les délais de pressage sont extrêmement longs et que c'est quand même cher, on va éditer une boîte de CD avec un booklet qui comportera des photos de tous les ateliers et une clé USB avec la musique dessus. Et en fait, le stade d'après, ce sera probablement de juste envoyer un lien de téléchargement... Mais j'aime quand même bien l'idée de garder un objet avec des photos, ça fait un souvenir matériel de l'année scolaire au Bus Magique.
> Et au niveau de ta carrière perso ?
J'ai la chance d'être toujours passionné, malgré le temps qui passe. Tant que j'ai toujours envie d'aller répéter, envie de monter sur scène... Bien que j'aie un ADN de rocker pur et dur, j'ai du plaisir à jouer du funk ou à découvrir d'autres styles, et c'est motivant. Même dans le rock, je ne peux pas m'endormir : il y a toujours des sons intéressants à aller chercher, des lignes de basse à inventer, ou un batteur avec qui apprendre à bosser différemment... C'est sans fin. Donc, tant que la tête et les mains diront qu'on peut y aller, on va y aller. Il n'y a pas de retraite, en fait.
> On dit souvent que la section rythmique d'un groupe est la fondation sur laquelle on construit un groupe, et il y en a d'autres qui pensent – Keith Richards en particulier – que c'est d'abord la guitare et la batterie, et que la basse vient après. Comment tu vois les choses ?
Je suis désolé, Keith, mais là, non (rires). Je pense qu'il s'est dit ça parce qu'il joue ses rythmiques un peu comme un bassiste, comme le fait aussi Pete Townshend dans The Who. Keith Richards est probablement honnête dans ce qu'il dit, mais ça compte pour lui, pas en général.
A mes yeux, une section rythmique c'est basse-batterie. L'un tape le rythme et l'autre, il joue les notes dessus. Ensemble ils forment une entité : la section rythmique. J'explique d'ailleurs souvent aux musiciens du Bus Magique que le chef du groupe, c'est le batteur. Juste après, il y a le bassiste et à eux deux, ils sont la fondation sur laquelle le reste se construit. S'il y a une mauvaise section rythmique, le groupe sera mauvais. S'il y a une bonne section rythmique et que les autres musiciens sont moyens, le groupe sera bon. Mais si la section rythmique est nulle, tu peux avoir qui tu veux à la guitare et au chant, ce sera nul. Avec un musicien moyen soutenu par une section rythmique d'enfer, ça va groover, t'auras envie de taper du pied, tu vas te lever puis tu vas danser.
C'est quelque chose dont je fais l'expérience immédiate au Bus Magique : il suffit que j'aie un batteur un poil moins bon, et le niveau de tout le band descend. Puis j'ai un batteur un peu meilleur, et le niveau de tout le band monte.
> Quels sont les meilleurs souvenirs en tant que musicien ?
J'ai de la peine à faire un hit parade des meilleurs souvenirs, parce que j'en ai accumulé quand même pas mal. Et j'en a aussi pas mal de mauvais, à part ça, mais t'as pas envie que je te les raconte, ceux-là (rires). J'ai eu la chance de jouer de la basse pour Henri Dès pendant deux ans et demi, et même si ça m'a pas tout le temps excité musicalement, j'ai appris énormément de trucs.
J'ai appris à être musicien de quelqu'un, d'abord, et non pas comme c'est le cas dans un groupe où si on est quatre, je suis 25% du groupe. A travers cette expérience, j'ai appris à faire ce que veut un musicien, en ayant une toute petite marge de manœuvre. Et l'autre truc super grâce à ça, c'est que j'ai joué 35 ou 40 fois à l'Olympia, et c'est une expérience formidable parce que toutes mes idoles, qu'elles soient anglaises, américaines, françaises, ont toutes joué sur cette scène. Je peux même te dire que mon ego – relativement minable à part ça – il était tout content. Je l'ai nourri un peu en me disant que j'étais en train de jouer sur la même scène que les Beatles, les Stones, les Who, Jimi Hendrix, George Brassens... Tous les meilleurs, quoi !
J'ai des anecdotes sympas de cette époque parce que justement, comme on jouait en matinée et à 16h, je restais là-bas et j'ai croisé les musiciens qui jouaient le soir. Des musiciens et des artistes, dont Raymond Devos, avec qui on a échangé des moments plus que précieux, car c'était une personne magnifique.
Autrement, j'ai joué pendant des années avec Bernie Constantin et avec lui, on a tout fait, et je me souviens spécialement d'un concert devant 30'000 personnes dans un stade de foot en Suisse allemande. C'était dans le cadre d'un festival où tout était parfait : on avait un gros son, tout était impeccable. C'est toujours agréable de jouer sur une scène immense.
Et puis un autre souvenir excellent – même si c'est un contexte un triste – c'est d'avoir participé à l'organisation de la soirée en hommage à Rory Gallagher quand il est décédé. Suite à ça, on est resté en contact avec son frère qui était son manager, et il nous a dit un jour qu'il se souvenait très bien de nous parce qu'on était les premiers au monde à avoir monté un événement à cette en l'honneur de son frère. Je suis allé à Londres ensuite, et il m'a offert la sangle de son frangin, la sangle de Rory Gallagher. On est toujours en contact, d'ailleurs, et à Noël l'an dernier, on est allé lui rendre visite dans le sud de l'Irlande.
> Tu écris aussi. Quel est ton processus de composition ?
Je suis plus à l'aise en écrivant des histoires que des riffs, donc j'écris plutôt des textes. J'ai l'impression qu'à chaque fois que je trouve un riff, tout le monde me dit "Oh là là, c'est 70’s à mort !" Donc les riffs que je trouve, je les garde en général pour moi, ou je les montre une seule fois...
Avec Sideburn, par contre, on compose tous ensemble. On joue des riffs au local, qu'on enregistre, et puis après, dès qu'on en a une trentaine de bons, on les note de 1 à 5 et on en sort une dizaine ou une quinzaine sur lesquels on jamme pour laisser venir les idées. Donc on crée les morceaux en groupe, ce qui est très intéressant.
Sinon, j'ai joué pendant très longtemps avec André Courbat à la guitare et Pof (Christophe Richard) à la batterie dans divers projets, que ce soit avec Motherockers ou bien avec Jacob Salem, un chanteur africain du Burkina Faso, et dans ces cas là, André arrivait avec toute la musique déjà construite, et Pof et moi, on "copiait". On avait très peu de marge de manœuvre pour mettre notre propre personnalité dans ce qu'on faisait, parce qu'André créait tout et que c'était déjà très bien fait. C'était une approche. Maintenant, je suis dans un groupe avec une approche complètement différente, où on est tous dans une pièce et où on crée ensemble un morceau, et ça me plaît beaucoup.
> Quel conseil donnerais-tu à un.e jeune qui débute à la basse ?
Je vais pas paraître très original, mais il faut bosser, et pour ça, il ne faut pas avoir peur de demander de l'aide. J'en sais quelque chose : je fais partie des têtus qui ont fait seuls, et on perd beaucoup de temps comme ça. Pour te donner un exemple concret, j'ai appris à jouer au plectre d'une manière mauvaise, et au bout d'un moment, je me suis retrouvé coincé et j'ai dû tout réapprendre. J'aurais gagné du temps si on m'avait enseigné les bonnes habitudes tout de suite.
Il ne faut pas avoir peur de demander, d'être curieux, ou d'être jugé, parce qu'on ne va pas être jugé, en fait. Les gens ont envie de partager ce qu'ils savent, donc c'est bien de prendre le temps de demander à un vieux comment régler le son de sa basse, de prendre le temps d'apprendre les notes sur le manche, parce qu'une fois qu'on a appris ça, tout devient beaucoup plus clair. Il ne ne faut surtout pas hésiter à faire des essais aussi : jouer aux doigts, au plectre, slapper, faire du tapping... Et puis bosser.