> Salut Didier, tu es batteur professionnel et professeur de batterie chez Music Arts Academy et chez Emagina-son, peux-tu nous parler de ton actualité ?
En tant que batteur, je joue au sein de plusieurs groupes et artistes : Gaëtan (chansons et spectacles pour enfants) Rollover (Tony Manias), Chess’co (Francesco Saraceno) et aussi quelques remplacements. Gaëtan est l’artiste avec lequel je travaille le plus ces temps, avec une quarantaine de dates par an. Et puis je donne aussi des cours privés et dans deux écoles, Music Arts Academy et Emagina-son.
> Pourrais-tu également nous présenter ton parcours ?
J’ai commencé à jouer à 14 ans, et j’ai appris de manière autodidacte. Un jour, on m’a dit d’aller voir un prof, qui n’était autre que Thierry Hochstätter, bien connu à Genève, et que j’ai beaucoup apprécié. Après un an et demi d’études avec lui, au début 86, il m’a recommandé d’aller suivre une formation au MIT à Los Angeles. Je suis donc parti dans l’année, sans hésiter. J’ai donc connu cette école très réputée, où il avait suivi les cours lui aussi. J’ai connu les anciens locaux, et la transformation de cette école qui est devenue une grosse industrie. Je suis parti avec deux amis Serge Michaud (batteur) et Christian Kleiner bassiste. On a vécu une année ensemble. On partageait un appart’, on jouait et on allait voir des concerts à Los Angeles, sans oublier les plages (rires)… C’était génial. Notre formation terminée, on a pris quelques semaines pour faire le voyage du retour par le Nouveau Mexique, le Texas, la Nouvelle-Orléans, jusqu’à Miami, avant de remonter sur New York et rentrer en Europe.
J’ai eu des profs sympas là-bas, comme Joe Porcaro (le père de Jeff – le batteur de Toto) pour le jazz, Steve Houghton, pour la batterie big band, qui avait une discipline redoutable. Il y avait Casey Scheuerell aussi, un autre très bon batteur rock. Dans cette école, il y avait beaucoup de cours facultatifs, et nous étions encouragés à jouer de la musique les uns avec les autres dans les ateliers. On apprenait un morceau par semaine, et on devait le jouer devant les profs ensuite. On formait aussi des groupes entre élèves.
On avait également souvent l’opportunité de jouer avec les profs et c’est là qu’on apprenait le plus.
Je n’ai pas cherché à travailler là-bas aux USA ensuite, c’était une période à laquelle il fallait savoir très bien lire pour décrocher des gigs et je n’étais pas encore au point là-dessus. J’avais plus besoin de prendre du recul et de bosser, donc je suis rentré en Suisse. Par la suite, j’ai fait beaucoup de séances au Prism studio à Lausanne et j’ai joué pour Claude Delabays et rencontré François Kieser au début des années 90. Avec lui, j’ai joué pendant quatre ans dans The Lift.
Après, je suis parti à Lausanne et j’ai joué avec B.Connected, un groupe de jazz fusion pendant une dizaine d’années. Ce n’était pas un style qui m’attirait plus que ça, mais j’aimais le mélange jazz/rock/funk. On a tourné en Chine, en Thaïlande, et en Corée du Sud entre 2000 et 2005. En 1999 on a participé à un festival tous arts confondus. Les gens faisaient de la poterie, de la danse, de la musique… Nous étions engagé au départ pour six dates, et nous avions eu beaucoup de succès, un tourneur nous a réinvités à venir l’année d’après. Cela a permis à Eugène Montenero guitariste l’un des leaders avec Moreno Helmy saxophoniste du groupe, de dénicher des opportunités de concerts en Europe, en Afrique et en Asie par la suite, et nous avons même joué aux Festival de Tabarka en Tunisie et à Constantine en Algérie, c’était génial.
En 2005, j’ai rencontré Ian Loseth, anciennement guitariste et membres fondateurs de Titanic, qui tournait sous son propre nom avec Phil Whilton et Mick Walker. Ils jouaient à Genève et leur batteur s’était cassé le bras, donc je l’ai remplacé, et la sauce a bien pris. Par la suite, Ian a décidé de remonter Titanic. Il a téléphoné à Roy Robinson (autre membres fondateurs), qui a accepté de nous rejoindre. On a fait des tournées en Norvège, en Allemagne, en France, en Angleterre, et en Suisse (en 2005 et 2013).
Suite à notre album Ashes and Diamonds en 2009 Roy a fait un AVC juste après la sortie de celui-ci et ça nous a mis un sacré coup d’arrêt. Depuis Roy est décédé en 2015, Mick en 2017, et Ian nous a quittés en 2019. Il ne reste plus que Phil et moi… Titanic a été un rêve devenu une réalité… grandiose !
> Comment t’es-tu mis à la batterie ?
Mes parents écoutaient beaucoup de musique, ce qui fait que j’ai baigné dedans depuis très petit. Mon père était fan de jazz, et il passait des disques le samedi après-midi. Ma mère, elle, écoutait la radio tout le temps. Moi, ce qui m’intéressait, c’était le foot. Je ne pensais qu’à ça… Mais un jour, ma sœur, qui jouait de la guitare, m’a emmené avec elle à une répète, et le batteur m’a assis derrière son instrument et montré quelques trucs. J’ai apparemment été assez talentueux, puisqu’on m’a poussé à poursuivre. J’ai donc continué, et j’ai choppé le virus. J’ai joué sur les morceaux de ma frangine, et développé mes propres goûts. A cette époque, tout le monde écoutait Led Zeppelin, Pink Floyd etc.., mais moi, j’ai viré vers les productions de la "Motown". J’aimais les rythmes afro-américains, et ça m’a ouvert à d’autres genres musicaux par la suite. Ma première batterie à ce moment là était une Trixton, et je sais que j’ai encore la grosse caisse quelque part… Mais où…
> Est-ce que tu joues d’autres instruments ?
Je joue un peu de basse, que j’ai appris à manier en autodidacte. Je m’en sers pour accompagner mes élèves durant les cours, afin qu’ils aient tout de suite un contact avec un autre instrument lorsqu’ils apprennent à jouer. Mais à part ça, non, je ne joue que de la batterie et ça me suffit (rires) !

> Quelles sont tes influences musicales ? Comment ont-elles évolué avec le temps ?
J’aime beaucoup ce qui est soul, funk, la musique qui sort du gospel. Et puis le blues, bien évidemment. Ce qui s’est passé à la New-Orleans, c’est pour moi le berceau de toute la musique populaire américaine. On peut même facilement argumenter que le jazz est né là-bas. L’histoire américaine n’est pas faite que de bonnes choses, évidemment, mais la musique, en revanche, ressort grandie de tout ça : les influences des caraïbes, de l’Afrique, d’Amérique latine (Mexique) et de l’Europe (Royaume Uni et France) se sont mêlées pour donner quelque chose de génial.
J’ai aussi appris à jouer des rythmes d’Amérique du sud, mais je joue comme un européen, c’est-à-dire en faisant de la copie en autodidacte. C’est pareil pour la musique orientale. J’en ai joué avec Sima Dakkus à un moment dans ma carrière, et c’était génial. Mais j’aborde ça avec une compréhension qui m’est propre. Mon jeu dans ces styles n’est pas issu d’une imprégnation de la culture, mais juste de ma capacité à reproduire des gestes techniques ou des ambiances.
En général, je suis plutôt demandé pour jouer blues, du rock, ou de la pop. Un peu de swing, et j’aime bien quand c’est chanté. Je suis moins fan du bop, par contre, que j’ai bien sûr écouté, mais c’est un trip de musicien qui ne m’a jamais vraiment emporté. J’ai fait un peu de jazz fusion bien sûr, mais je suis très vite “revenu aux sources”.
> Quels sont tes batteries préférées ?
Les Gretsch. En vérité, ce qui m’importe le plus est le bois, et je préfère l’érable qui donne un son très chaud. Les batteries Gretsch de fabrication américaine sont top, mais tant que je retrouve cette chaleur de l’érable, je joue sur ce qui est disponible, surtout quand je joue dans des festivals avec du back-line, par exemple je prends ce qu’il y a, ça m’évite la logistique.
L’évolution du traitement audio sur les grandes scènes est telle qu’aujourd’hui, tu peux avoir un son de grosse caisse énorme à partir d’un truc de base vraiment pas terrible… Mais actuellement, mon plaisir est de jouer sur une batterie acoustique, sans micros, pour le son pur.
> Qu’est-ce qui est important pour toi dans une batterie ?
Le plus important dans une batterie, c’est la caisse claire, la grosse caisse, et le charleston, Le reste, c’est du bonus. Si on arrive à jouer avec ces trois instruments, à maîtriser les rythmes, on peut s’attaquer à tous les styles.
> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?
Servette-Music a toujours existé pour moi, et maintenant que Stephan Montinaro vous a rejoint il y a cinq ans, vous avez un espace batterie conséquent. Je connais le magasin depuis mon adolescence, il était connu et spécialisé dans les instruments à vents. Je passais devant quand j’allais au cinéma Nord-Sud, où je me souviens avoir vu Le bon, la brute et le truand et Tinita.
Mais par la suite, pour trouver mon bonheur en musique, j’allais un peu plus bas, chez Stephan Montinaro à Music Arts, notamment.
> Quels sont les meilleurs souvenirs de ta carrière ?
Titanic a été génial. On était tous dans le même trip musicalement, le groupe aimait ce qu’il faisait. Il y a aussi les voyages, la possibilité de découvrir le monde que m’a offert ma carrière. Je ne serais jamais allé en Chine si la musique ne m’y avait pas conduit, par exemple. Maintenant je voyage moins, indépendamment des événements ces dernières années. Je joue essentiellement en France, en Suisse.
Le dernier grand voyage était à Haïti en 2013 avec Gaëtan, et ça c’est un souvenir magnifique, malgré la pauvreté du pays, surtout accentuée par le séisme en 2010.

> Quels sont les projets qui t’animent pour l’avenir ?
J’ai des projets avec des copains, et si un gros projet pointe son nez, je suis toujours prêt. J’ai déjà été bien rassasié dans ma carrière. Je continue avec Gaëtan, qui travaille beaucoup pour s’imposer en France. Je suis engagé sur la prochaine tournée et après on verra bien…
Et puis sinon j’enseigne en privé à Music Arts et Emagina-son. La pandémie a amené un grand nombre de personnes à débuter ou à reprendre la musique, ce qui est un bien pour nous.
> Quels sont tes conseils pour une personne qui débute la batterie ?
La première chose, c’est de prendre du plaisir à jouer, être patient et persévérant. Si c’est une passion et que tu veux en faire un métier, il faudra faire des sacrifices et subirent les difficultés pour gagner sa vie. Il faut aussi pouvoir garder confiance en soi et rester résolu, et le travail permettra d’y arriver.
C’est bien aussi d’avoir du soutien de la part de ses parents ou de ses amis, quand on se sent un peu découragé. Personnellement, j’ai la chance d’avoir eu du soutien de la part de mes parents, même si ma mère était parfois inquiète. Mais à la base, il faut aimer ce qu’on fait et j’aime beaucoup ce que je fais.