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12.05.2023 : Arnaud Defigier, guitariste professionnel et professeur de guitare à l'Espace Musical : "S'amuser pour progresser".

12 mai 2023 par
12.05.2023 : Arnaud Defigier, guitariste professionnel et professeur de guitare à l'Espace Musical : "S'amuser pour progresser".
VPI

> Salut Arnaud, tu es guitariste professionnel et professeur de guitare à l’Espace Musical. Comment les choses bougent-elles pour toi en ce moment ?

Au niveau de l’Espace musical, il y a tous les ans quelque chose de nouveau avec "La musique ensemble" ! Avec cet événement, on organise des cours en groupe, pour faire sortir les enfants du schéma des cours individuels. Ils se mêlent à d’autres élèves, qui ont plus ou moins le même niveau, autour d’un thème différent chaque année. Cette année, le thème c’était la MAO. Et c’est toujours une fête : c’est un moment de partage musical entre les élèves, avec les parents, et ça donne un concert très sympathique à chaque fois.

Sinon en ce moment, j’ai un projet de reprises avec le groupe Lemanic Vice avec qui on se connait depuis longtemps. C’est une équipe avec un sacré niveau musical, et comme on est potes en plus de ça, c’est génial de bosser ensemble. Quand on joue dans un groupe où il n’y a pas d’affinités personnelles entre les membres, à part à des niveaux de virtuosité invraisemblables où tout est toujours parfait de toute façon, ça se ressent dans la musique. Là, avec Lemanic Vice, c’est juste le pied. 

Je prévois aussi d’enregistrer enfin mon album dans les prochains mois. Donc je trie les compos, et j’écris pas mal de paroles ces derniers temps.


> Quel a été ton parcours jusqu’ici ?

Quand j’avais six ans et demi, j’ai commencé par faire du xylophone au Mexique ! Mes parents y vivaient, c’est pour ça. Mais je me souviens que j’avais assez rapidement la guitare dans le viseur, et surtout le solo de guitare électrique d’Eddie Van Halen sur Beat It. Et il me fait toujours le même effet quand je l’écoute aujourd’hui (rires). Ma mère voulait que je joue un instrument de musique, et j’ai quand même fini par dire que je voulais jouer de la guitare. Donc j’ai commencé au conservatoire à Poissy, à côté de Paris, quand on est revenus du Mexique. J’y ai passé cinq ans, mais j’ai dû arrêter parce que je n’aimais pas du tout lire la musique. Mon prof de guitare classique me montrait comment jouer les trucs, et j’avais fini par avoir trois ans d’avance au niveau technique, mais j’étais en retard pour la lecture. Il y avait donc un tel écart entre ce que j’étais capable de jouer – et de retenir – et mon niveau de lecture, qu’on m’a gentiment fait comprendre que ce n’était plus possible de continuer comme ça.


> Une école avec un cursus professionnel ?

 C’est un cursus de cinq ans, au cours duquel j’ai appris à faire des arrangements, à composer, à composer dans de brefs délais. J’ai fait de la musique de films, des duos, des trios, des sonates, et surtout, j’ai fait beaucoup de concerts et appris un grand nombre de standards de jazz. J’ai aussi fait des arrangements pour big band, j’ai fait le chef d’orchestre… C’était une formation très complète, et quand on sort de cette école, on n’a plus du tout la même écoute qu’en y entrant. D’ailleurs aussi pour le déchiffrage, j’y ai appris que ce qui est intéressant est d’arriver à un niveau où quand on lit la note, on ne va plus chercher mécaniquement sur quelle case elle est, mais où on joue la note qu’on lit parce qu’on l’entend dans sa tête.


> Comment es-tu arrivé à Genève, alors ?

Après cinq ans de vie parisienne, quelque chose n’allait pas vraiment pour moi, je ne me sentais pas à ma place. Et puis à cette époque j’ai rencontré mon ex-épouse qui vit dans le coin, donc je suis finalement arrivé ici un peu par hasard. Je me suis rendu compte ensuite que j’avais une formation et une expérience importantes au niveau de l’animation et du travail avec les enfants. J’ai donc fait plein de petits boulots et pour finir, j’ai passé un entretien à l’Espace Musical. Il y a une raison pour laquelle pas mal de profs de guitare ne donnent pas de cours aux enfants en dessous de huit ans. Et moi je sais précisément relever ce défi, en fait. En tant qu’animateur, j’étais habitué à travailler avec des enfants de manière ludique, et ça compte énormément avec eux, pour faire vivre l’envie de jouer. Donc ça collait parfaitement.  


> Quelle a été ta première guitare folk ?

Mon premier modèle, que j’utilise toujours, est une Larrivée L5. J’avais tout essayé : Takamine, Ovation, tout. Je trouvais que ça sonnait, mais il me manquait toujours quelque chose. Et puis il y a eu cette Larrivée, qui était magnifique. Elle avait une sonorité pleine, puissante et chaude, et elle était aussi d’une beauté remarquable, toute en acajou rouge. J’étais conquis, et je suis resté fidèle.


> Et de quels autres instruments joues-tu ?

Je suis essentiellement guitariste, le reste c’est pour m’amuser. Je joue de la guitare classique, de la folk, "des" électriques, du ukulele, un peu de basse, du banjo, et du charango, un instrument à cordes d’Amérique du Sud, avec cinq cordes doublées. Mes parents me l’avaient rapporté d’un voyage quand j’avais 24 ans. C’est un tout petit instrument avec des cordes en nylon, qui sonne donc très aigu, sur lequel on peut faire des choses mélodiques et rythmiques intéressantes.


> Quels sont tes influences majeures, et comment tes goûts ont-ils évolué avec le temps ?

Mes influences sont nombreuses. J’aime la guitare classique, j’aime la musique classique, romantique, baroque, contemporaine – Debussy, Alfred Schnittke, le grand orchestre… Et puis j’aime le jazz. J’aime Miles Davis, le jazz des années 50 en général, John Scofield, et surtout Adam Rodgers, qui est pour moi un guitariste extraordinaire parce qu’il sait aussi bien jouer du classique que du jazz contemporain, qu’il mêle dans des thèmes captivants.


> Un peu de rock peut-être ? Je t’ai entendu jouer un morceau des Stones un jour…

Bien sûr. Les Stones, Led Zep tout spécialement, Zakk Wylde – j’adore ses albums acoustiques – et toute la musique bien faite en général. Et on n’a pas encore parlé de la bossa nova. Baden Powell, et Paoliño Nogueira, notamment. J’invite tout le monde à écouter "Samba em prelùdio" de Paoliño Nogueira, c’est magnifique. Il y a ce côté rythmique prenant qui fait qu’on a envie de danser quand on l’écoute.


> Tu as des références variées. Il y a une limite à ce que tu aimes ?

Ecoute, j’aime même la vulgarité de Gainsbourg dans certains titres (rires), et le metal. Pas tous les groupes, mais j’aime Tremonti pour les choses récentes, et Megadeth et Pantera pour les trucs old school. Ça fait parfois du bien en voiture (rires).


> Quelles sont tes guitares folk préférées ? 

Je me suis toujours dit que je me payerai une Martin D-45 pour mes 45 ans. C’est bientôt, alors j’essaie d’en parler autour de moi pour trouver des fonds (rires). J’adore ces guitares, elles sont exceptionnelles. Larrivée avait d’ailleurs commencé en faisant des Martin meilleures que Martin à ses débuts. Et puis j’aime aussi les Collings, elles sont superbes. Mais je pourrais tout aussi bien apprécier une vieille Guild au son sec sur laquelle il faut monter du 13-56 et cogner, selon son caractère.   


> Qu’est-ce qui est important pour toi dans une guitare folk ?

La première chose qui va me faire réagir, c’est la dynamique. Une guitare me plaira si je sens qu’elle peut envoyer beaucoup de volume, mais qu’on peut aussi jouer pianissimo. Ensuite, le sustain est très important pour moi. Il faut que la note s’éteigne le moins possible et sonne longtemps. Et puis enfin, le grain est essentiel aussi.


> Et le confort ?

C’est quelque chose qui va avec le fait de passer du temps sur l’instrument. C’est à moi de m’adapter à la guitare par rapport à ça. Si elle sonne super bien, les fabricants vont avoir pensé à la rendre assez jouable. Pour le reste, je pense qu’on peut quand même faire un petit effort (rires).


> Comment décrirais-tu ton expérience avec Servette-Music ?

Servette-Music est le premier magasin dans lequel je suis venu acheter des cordes quand je suis arrivé à Genève. Je me souviens que Sergio était derrière le comptoir, et je suis venu plusieurs fois après pour l’embêter un petit peu… J’avais envie de faire mon pedalboard, donc j’essayais des trucs, des effets. Mais j’ai aussi surtout été magasinier ici pendant dix ans, et j’ai eu accès à toutes les guitares, et la possibilité d’affiner mon oreille. Et aujourd’hui Servette-Music est le magasin que je recommande à tous mes élèves. Vous avez des guitares d’études magnifiques et un service après-vente au-dessus de tout ce que je connais. Un jour, j’avais un élève dont le chevalet se décollait, et je l’ai envoyé chez vous. Vous lui avez changé la guitare tout de suite. Bon, j’imagine que vous vous êtes débrouillés après avec le fournisseur, mais en tant que client c’est juste la classe.



> Peux-tu nous parler de ton activité de professeur à l’Espace Musical ? Qu’y a-t-il de particulier dans le fait de travailler avec les enfants ?

L’espace Musical est une école spécialisée dans l’éveil musical et l’apprentissage d’un instrument à un jeune âge. On est une vingtaine de profs, et on donne des cours de guitare individuels aux enfants à partir de l’âge de cinq ans. De cinq à huit ans, les cours sont très différents de ceux que auxquels assistent les plus grands, et c’est passionnant parce qu’avec les enfants, par rapport à l’apprentissage, on va tout de suite être dans le jeu et on va jouer de la musique avant de savoir lire. On met donc en place quelque chose de très important : retenir la musique avant de la lire. Même si on ne s’applique pas spécialement pour jouer telle ou telle note, ce n’est pas grave, l’essentiel c’est de s’amuser à jouer. Les adultes ont plus de peine à lâcher prise et à jouer quelque chose quand ils savent d’avance que ça ne va pas sonner. Les enfants, eux, ça ne les embarrasse pas.

L’Espace Musical adapte aussi ses cours à chaque enfant. Comme ce sont des cours individuels, on arrive rapidement à cerner une difficulté particulière, et on va adapter l’enseignement. Et comme je le disais, avec "La musique ensemble" on fait jouer les enfants ensemble, parce que ça fait partie de la musique de sortir de sa cave pour rencontrer les autres. C’est passionnant à regarder et ça leur permet d’évoluer. Tu vois des enfants qui ont six ans et qui ont commencé la guitare depuis un an se rendre compte qu’ils arrivent à jouer certaines difficultés techniques, et que leur camarade arrive à en jouer d’autres ; et du coup ils échangent, et construisent déjà leur identité musicale.


> Tes élèves sont un peu jeunes pour ça, mais que penses-tu en général des cours sur internet, des tutos, etc. ?

Je me rends compte qu’un bon professeur ne peut pas être remplacé par des tutos sur internet, quelle que soit leur qualité. On s’en aperçoit avec les enfants, les ados ou les adultes qui apprennent comme ça, et qui finissent quand même par prendre des cours parce qu’ils n’ont pas de schéma pour avancer. Un prof est nécessaire pour coacher, en fait. D’abord pour montrer la palette musicale qu’on peut envisager quand on est guitariste. Par exemple pour le jeu de la main droite, le jeu avec plectre, avec les différentes techniques de fingerpicking. Ça c’est pour le côté possibilités. Et puis il y a les contraintes : surtout le sens du rythme, qui est une grosse lacune chez beaucoup de musiciens qui apprennent tout seuls. On n’a pas ça dans le sang ici, en Europe, et c’est pourtant quelque chose d’essentiel. Mais ça se travaille.


> Tu nous as dit que tu allais enregistrer un album. Comment se déroule ton processus de création ?

En règle générale, ça part d’un riff, mélodique ou rythmique. Si j’arrive à m’en rappeler au bout de quelques jours, ça veut dire que c’est pas mal. Si je sens quelque chose de particulier dedans, je vais l’enregistrer et le reste vient tout seul. Sans vouloir être prétentieux, je pourrais écrire trois morceaux par jour. Mais après, j’en ferais quoi ? Il ne faut garder que le meilleur.


> Quel est le meilleur souvenir de ta carrière jusqu’à présent ?

Le festival des Hell’s Angels à coté de Clermont-Ferrand, dans un petit village en Auvergne, est un super souvenir. C’était une organisation magnifique. Il y avait Eagle Eye Cherry, Poppa Chubby, Franck Black, Rose Tattoo, une grande scène, et une petite scène. Nous, on jouait sur la petite. Il y avait une atmosphère à la Woodstock : avec uniquement de la musique qu’on aimait – du rock, une vibe "flower power" très chouette, limite hippie. Très roots en tout cas. On dormait dans une tente, on avait du fun, on jouait de la musique, on était payés…


Sinon, mon expérience avec les frères Alba, et Gianni Di Paolo, quand on est partis à Manille, a aussi une place spéciale. J’ai pris le rôle de guitariste-chanteur pour cette occasion, et c’était un super moment de partage entre nous et avec le public. J’ai beaucoup aimé chanter en français devant un public philippin… Il faisait chaud et beau, et on a fait de belles rencontres.


> Chanter t’est venu naturellement ?

J’ai toujours chanté, et ensuite ça a pris de l’importance avec la guitare électrique. Quand j’avais 18 ans, notre chanteur nous avait lâché pour l’enregistrement de notre premier album – on ne s’était pas disputés, c’était un autre truc, je ne sais plus quoi. Parmi tous les gaillards qu’on était, c’était apparemment moi qui chantais le plus juste, donc on m’a dit "faut que tu chantes". Je m’y suis collé, et c’est comme ça depuis. J’avais une voix toute fluette, alors que j’aurais voulu sonner comme Rod Stewart ou Zakk Wylde, des chanteurs avec un coffre énorme et une voix rocailleuse. Alors ce n’était pas facile (rires)…


> Je t’ai écouté plusieurs fois, tu as bossé énormément !

J’ai beaucoup bossé. En plus j’ai pris quelques kilos depuis mes 20 ans, donc il y a plus de coffre (rires)… Je suis plus à l’aise aussi, j’ai gagné quatre tons dans les graves et je suis baryton à l’origine. Mais par contre ça se dégrade un peu dans les aigus avec l’âge. J’ai appris à garder le même timbre indépendamment des circonstances, aussi. Quand on chante, la position dans laquelle on se tient impose des contraintes qui peuvent affecter la texture du son, mais en s’enregistrant beaucoup, on apprend à compenser ça et à avoir un timbre constant.



> Quels sont les projets que tu espères faire aboutir prochainement ? 

J’aimerais bien faire mon album, et surtout rencontrer des musiciens, d’autres musiciens avec qui jouer de la musique. Ce qui est sympa, c’est de partager des moments avec des gens avec qui on s’entend. 


> Que conseillerais-tu à un.e jeune guitariste qui débute ?

D’abord, il faut surtout de garder à l’esprit que le but est de prendre du plaisir. Ensuite, si ça ne colle pas avec un professeur, il ne faut pas hésiter à changer. Parfois il y a des personnes qui ne nous correspondent pas, et c’est important d’en tenir compte. Et puis enfin, je recommande de trouver une méthodologie pour déterminer comment travailler, avec des exercices quotidiens ludiques pour avancer. C’est en s’amusant qu’on progresse musicalement, au fond, non ?