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09.12.2022 : Manuel Osorio, professeur de guitare classique à l’école internationale : "en ce moment je suis attiré par tous les styles de musique".

9 décembre 2022 par
09.12.2022 : Manuel Osorio, professeur de guitare classique à l’école internationale : "en ce moment je suis attiré par tous les styles de musique".
SERVETTE-MUSIC SA, VPI


> Bonjour Manuel, tu es professeur de guitare classique à l’école internationale, peux-tu nous présenter ton parcours à nos lecteurs ?


Je pense qu’à la base de mon voyage musical, il y a le fait que ma mère jouait de la guitare et me chantait des chansons. Ma passion pour la musique s’est aussi beaucoup du voyage, car nous avons quitté le Chili quand j’avais deux ans, et j’ai été confronté à des cultures très différentes assez tôt. Au Kenya, j’ai appris à jouer de la guitare avec une vieille guitare et deux albums des Beatles. Il n’y avait pas de profs, j’avais seulement un oncle qui savait jouer, et qui nous rendait visite, et un collègue de ma mère dont j’essayais d’absorber toutes les connaissances.


Arrivé à Genève à quinze ans en 1987, les possibilités se sont ouvertes pour moi. J’ai trouvé des profs, j’ai pu acheter des disques, et j’ai commencé à m’intéresser à l’écriture musicale, à acheter et à écrire des partitions. J’étais en grande partie autodidacte, et peut-être du fait d’avoir été très limité durant ma vie Kenya, j’ai toujours su apprendre beaucoup de choses à partir de peu de ressources. Ma musicalité s’est aussi beaucoup nourrie de la rencontre avec des personnes qui avaient des cultures différentes. Comme j’étais élève à l’école internationale, je rencontrais là-bas des gens très différents. Mes amis venaient de partout, ce qui m’a permis d’être exposé à leur culture, et leur approche de la musique.


J’ai eu un prof privé au départ, et puis j’ai ensuite suivi des cours au Conservatoire populaire, et après au Conservatoire. J’ai passé des concours, et c’est une période au cours de laquelle j’ai beaucoup progressé. De 1997 à la moitié des années 2000, j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup de guitaristes pour la plupart bien meilleurs que moi. Nos échanges en travaillant avec eux m’ont beaucoup appris.


> Quels sont tes styles préférés, à jouer ou à écouter ?


En ce moment je suis attiré par tous les styles de musique. Il y a ce que je peux transformer en langage classique à travers mon instrument, mais tous les styles de musique essaient de raconter une histoire, de décrire un scénario ou un feeling. En tant qu’interprète, c’est mon rôle de mettre cela en lumière, de le montrer et de le transmettre au public de la façon la plus intelligible et claire possible. Ça m’intéresse donc toujours d’écouter toutes les musiques, ne serait-ce que pour comprendre ce qu’elles disent. Sinon, personnellement, j’écoute bine sûr beaucoup de classique, de l’opéra, mais aussi la radio, et un éventail très large d’artistes. Parfois, c’est AC/DC qui accompagne le mieux un moment, parfois c’est Chopin…


> Pourquoi et comment t’es-tu mis à la guitare classique ? Quel était ton premier modèle ?


Ma mère jouait de la guitare. Elle s’accompagnait avec, principalement, mais elle jouait aussi quelques morceaux classiques, comme Jeux interdits ou Greensleeves. Comme ça m’attirait, elle m’a appris mes premiers accords, mes premières mélodies, Jeux interdits, aussi. Je crois qu’on avait commencé par ça. Elle trouvait que j’avais pas mal de facilité, donc elle m’a encouragé. Donc ma première guitare était celle de ma mère. Elle n’avait pas de nom, et elle était de très mauvaise qualité. Mais plus tard nous avons eu un modèle Yamaha, qui nous paraissait très bien mais qui n’était pas formidable non plus en fait, car elle avait un timbre assez sourd. Mais ça, ce sont des choses qu’on découvre après…


> Quelles sont tes guitares préférées ? Sur quels modèles joues-tu en ce moment ?


Pour les guitares, c’est comme pour les styles : j’aime un peu tout. Tu sais que les luthiers plaisantent entre eux et disent qu’il n’y a pas de mauvaise guitare, seulement de mauvais guitaristes (rires) ? Mais c’est vrai que certaines guitares se prêtent plus que d’autres à certaines occasions. Tout dépend de ce dont on a besoin. Parfois c’est d’une guitare au timbre intimiste, parfois on a besoin d’un instrument puissant. On peut rechercher une certaine couleur, ou une certaine personnalité plutôt qu’une autre…


En ce moment, je joue sur une Hanika Grand Konzert qui me convient très bien. Elle est très puissante, et elle a un charme, une couleur, une chaleur qui me plaisent beaucoup. Le son est très équilibré entre les aigus, les mediums et les basses. Elle matche, tout simplement. Pour les enregistrement, j’aime énormément les guitares d’un luthier italien. J’aime aussi les guitares de Steven Connor, un luthier du Massachusetts qui utilise des bois vraiment magnifiques et répond à des demandes custom. Mais le problème avec ça, c’est qu’on risque d’attendre trois ans pour une guitare qui ne nous plaira quand même pas une fois qu’on la jouera (rires). J’ai aussi une guitare japonaise qui n’avait pas un son très puissant, mais un timbre et une brillance magnifiques.


> Est-ce que tu joues d’autres instruments ? Si oui, lesquels ?


Je me suis mis au violon, il y a maintenant dix ans. J’ai pris des cours, même si j’ai travaillé un peu tout seul aussi. Je progresse, je joue des études, et j’avance é mon rythme. C’est pour moi surtout un outil de travail en tant que guitariste. Il est possible de ressentir le geste musical d’une manière qui l’enrichit quand on le joue à la guitare comme on le ressent avec le violon : le vibrato, prolonger une note… C’est aussi un excellent exercice pour travailler l’indépendance des mains, parce je mouvement pour produire le son est différent. A la guitare, les mains sont toujours en contact avec les cordes, ce n’est pas le cas au violon. Et puis elles peuvent devenir un peu statiques, alors que sur un violon, on est obligé de bouger beaucoup.


J’aime jouer du violon pour me donner une bouffée d’air frais. Cela me sert à améliorer ma musicalité en général. J’arrive à repérer des concepts, et à appliquer ce que je sais déjà pour avancer, donc ça me donne confiance. Mais je ne serai jamais un grand violoniste.


> Qu’est-ce que tu recherches dans une guitare classique ?


En ce moment je cherche à jouer plus de concerts, donc je préfère une guitare qui a de la projection. Il faut qu’elle sonne loin, qu’elle puisse être entendue au fond de la salle. Après, j’aime retrouver une certaine couleur dans le son, et je veux qu’il soit bien équilibré. La guitare classique se prête énormément au contrepoint, et il faut que le son soit clair et défini. C’est peut-être même plus important que la couleur. Je préfère le cèdre d’ailleurs à cause de ça, même si l’épicéa a un son magnifique, parce qu’il donne quelque chose de plus articulé. La brillance de l’épicéa est superbe, mais le cèdre sera quand même plus structuré, surtout au niveau des mediums.


On m’a aussi récemment prêté une Hanika Torres, une double top hybride avec une partie de la table en cèdre et une autre en épicéa. Le son était extraordinaire, et j’ai été très séduit par cet instrument. Je l’ai comparé à d’autres modèles, comme une Lattice, ou une guitare avec une table en épicéa, mais ça ne lui arrivait pas à la cheville. J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer sur cette guitare, surtout dans les cadres intimes, autour dune table avec quelques amis. Mais je n’ai pas encore trouvé une double top convaincante au niveau de la projection du son pour les concerts. C’est toujours un peu comme ça avec les guitares, il faut faire des compromis.



> Quelle est ton expérience avec Servette-Music ?

Je me suis souvenu ce matin que ma première guitare sérieuse venait de Servette-Music. On avait la Yamaha dont je t’ai parlé en venant du Kenya. Comme j’ai rapidement joué dans beaucoup de projets et qu’elle trouvait que j’avais du talent, ma mère a investi dans un modèle un peu meilleur, une Espala, qui n’avait pas beaucoup de projection mais une chaleur incroyable, et à cette époque c’est ce qui m’attirait le plus… Elle coutait 1800 Francs, et pour moi c’était un instrument magnifique. Depuis, je suis souvent venu au magasin pour essayer des guitares, voir les nouveautés. Je me souviens avoir été intéressé par les Lowden classiques à un moment, mais ça ne me convenait pas. Je trouvais que les basses était trop présentes par rapport à une Torres traditionnelle. C’était une guitare puissante, avec un caractère distinct, juste pas pour moi.


J’ai continué à venir chez Servette-Music pour acheter des cordes, des choses comme ça. Et un jour je suis tombé sur cette Grand Konzert. Sergio me l’a prêtée dix jours, et je l’ai gardée.


> Peux-tu également nous présenter ton actualité musicale ?

Là je travaille sur le lancement d’une chaîne Youtube, dont les contenus seront partagés sur les réseaux sociaux. Il existe déjà du monde qui enseigne la guitare classique, et qui sont plus ou moins orientés sur la pédagogie ou la résolution de problèmes spécifiques, mais je trouve que c’est toujours un peu la même chose. Je vais proposer des études, par exemple, bien filmées, bien enregistrées, é travers lesquelles je montrerai mes solutions pour aborder un passage technique, et amorcer des échanges en réalité. Cette chaîne n’a pas pour vocation d’être monétisée. Le but est vraiment juste de créer un environnement de partage de la culture de la guitare classique, d’astuces et d’approches techniques. 


En termes d’interprétation, je joue avec un pianiste, ce qui est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai besoin d’un instrument qui sonne fort, et j’ai un autre duo de musique de chambre avec un violoniste. Je joue aussi bien sûr également des récitals en solo, principalement en Suisse. L’enseignement me laisse peu de temps pour travailler cet aspect, mais l’été j’arrive à dégager du temps. et je maintiens donc constamment un répertoire pour pouvoir saisir les opportunités qui se présentent.


> Quel est le meilleur souvenir de ta carrière ?


Oh, j’en ai beaucoup. Les meilleurs souvenirs sont souvent ceux des moments autour d’une table avec des amis musiciens, où on se sent absolument libre dans l’expression pour produire un récital exigeant. Sinon, j’ai joué un jour un concert à Neuchâtel devant un public de 600 personnes, et ça m’a beaucoup marqué. Le régisseur m’a montré la salle pleine avant de monter sur scène, et moi qui n’avait jamais joué devant autant de monde, j’ai eu pas mal le trac. Et finalement, une fois sur scène, c’était presque plus facile de jouer devant ce mur de monde que devant seulement dix personnes qui se tiennent là, juste devant moi.


> Comment l’enseignement de la guitare classique a-t-il évolué avec internet selon toi ? 


J’ai l’impression qu’avec internet, les élèves sont beaucoup plus sollicités par d’autres choses pour lesquelles ils ont de l’intérêt. Ils sont facilement distraits, et il est plus difficile de les focaliser ou de les motiver à se concentrer sur le fait de jouer de la guitare. C’est peut-être un peu dommage mais en même temps, en tant qu’enseignant, j’aime bien connaître mes élèves et savoir à quoi ils s’intéressent. Je valorise leurs efforts dans d’autres disciplines, comme le foot ou autre chose, et je mobilise cette énergie pour les aider à progresser à la guitare. J’utilise des analogies simples, comme de comparer les doigts de la main aux membres d’une équipe qui communiquent, anticipent les gestes les uns des autres, se passent le ballon, des choses comme ça… Je remarque que ça leur parle vraiment, et que ça les aide à se reconnaître dans leur pratique musicale, qui devient une source d’expression pour eux. Ça semble permettre de faire plus de place à la musique, paradoxalement.


> Quels sont les conseils que tu donnes aux guitaristes débutants ?


Qu’on débute ou qu’on soit professionnel, je pense que l’essentiel est d’avoir du plaisir à jouer. C’est vrai qu’il y a un coté sérieux et que parfois, il faut souffrir un peu pour que ça devienne plus facile après. Mais ce qui est important c’est de partager la musique avec les autres, et d’aimer en jouer. 


C’est facile à dire comme ça, mais il faut trouver les outils qui aident à le faire : les gens, les répertoires, et le travail pour maîtriser les techniques qui donnent du plaisir quand on les exécute ou qui permettent de jouer les morceaux qu’on a envie de jouer. Il faut essayer d’être économe dans ses mouvements, de jouer avec l’esprit clair, en conscience, et ça passe par la respiration, et une conception de l’instrument comme un prolongement de soi. Un peu comme un tambour, la résonance de la guitare se nourrit de l’énergie qu’on y met. Mais ça c’est quand on arrive à un niveau plus avancé… Aux débutants je dis : ayez du plaisir à jouer, et partagez ce plaisir avec les autres. La motivation pour progresser viendra de là.